J'AI LU POUR VOUS




J'ai Lu



Avril 2017 : Nicolas Delesalle : Un parfum d'herbe coupée

Janvier 2017 : Johann Wolfgang von Goethe : Erlkönig - Le roi des Aulnes

Janvier 2017 : Frédéric Lenoir : Philosopher et méditer avec les enfants

Octobre 2016 : Amélie Nothomb : Riquet à la houppe

Septembre 2016 : Stephen King : Carnets Noirs - Paul Jorion : Le dernier qui s'en va éteint la lumière

Juillet 2016 : Lewis Carroll : Alice au Pays des Merveilles

Juin 2016 : Olivier Bourdeaut : En attendant Bojangles



J'ai Lu Pour VousNicolas Delesalle : "Un parfum d'herbe coupée" - Le Livre de Poche

Les commentaires de la quatrième de couverture correspondent bien à l'impression du lecteur... Et le garçonnet au torse fluet, pas encore sorti de sa chrysalide, dont le bras nu tenu hors de l'habitacle de l'auto semble vouloir tester la force du vent - ce garçonnet - que l'on prend possiblement pour une jeune femme - tant il est gracile - en première observation - va nous tenir en haleine - tout au long d'une histoire qui en fait n'en est pas une. Curieux paradoxe : c'est probablement justement parce que cette histoire n'en est pas une, avec son début et sa fin, et son milieu, qu'elle m'a véritablement tenu personnellement en haleine...

Succession de bouts d'histoires - de sensations - de moments forts - de points d'interrogation que l'on se pose à douze ans - lorsque le sexe opposé est à la fois si proche et si loin - le texte surprend et ravit. Surprend parce qu'en fait l'observation superficielle de la lectrice un peu blasée que je suis parfois m'incitait au départ à lire cette histoire d'un peu loin. La photo de la page de couverture évoquait pour moi une lecture de gare, un récit de vacances facile, au soleil, la mer à portée de bouée - avec l'inévitable romance à l'eau de rose fabriquée spécialement pour lectrices désoeuvrées voyageant en 1è ou 2è classe direction Côte d'Azur. Broueff - je m'attelai à la lecture avec une certaine résignation - mais bien vite celle-ci se transforma en un plaisir rare !

Je fus ravie - par la finesse de l'analyse - par la description de sensations par lesquelles j'étais passée - moi aussi - dans une autre vie - sentiments parfumés - étranges - vifs - angoissés - triomphants - d'un égoïsme primaire - d'un altruisme sans bornes. Bourrés d'exaltation - prêts à se moquer pour le plaisir - à aimer - à condamner. Sentiments pleins de certitudes que la vie contredirait. Ou d'incertitudes dont le vécu se plairait ensuite à modeler d'autres contours fluctuants.

Je fus ravie. Comme si, en demi-sommeil sous une lisse couche d'humus, mon passé d'enfant n'avait attendu que ce signe pour surgir hors de terre, content de se retrouver-là, au soleil, bien vivant, tout d'un coup. Et prêt à dire : « Ah oui, je me rappelle... voilà... j'avais pensé comme ça, moi aussi - ah oui... Comme j'avais été contente le jour-là, aussi... et bêtement honteuse, cette autre fois... Ah oui, moi aussi, beaucoup plus tard, passant devant l'une des maisons de mon enfance, transformée, dégradée par le temps ou la main des hommes - ou, au contraire « embellie » par une volonté étrangère, j'avais serré les dents. A quelque part, dans mes circuits neuronaux, à un endroit où les pensées restent encore latentes, sans mots encore pour les exprimer, oui, à cet endroit-là, je m'étais dit, moi aussi : « quelle bande de salauds quand même... avoir osé !... Après moi... ! »

Personnages que l'on évalue, aime, craint, admire en bloc, ou méprise vaguement, avec ses yeux d'enfants et son cœur naïf. Mais aussi que l'on restitue si justement, dans son essence, mieux qu'avec un appareil photo. Je me souviendrai de quelques professeurs de l'auteur. Et aussi des filles, qu'il embrassa plus ou moins. Plutôt mal que bien, semble-t-il.

De celle qui devint son épouse, il en parle peu. Très peu. Juste assez pour que le lecteur sache qu'il s'agit de la mère de ses enfants. Parce que, justement, cette mystérieuse personne, sur laquelle le lecteur n'a pas trop le loisir de s'interroger, cette personne doit rester un symbole... qui clôt l'histoire qui n'en est pas une : celle de la magie de l'enfance. Et l'auteur ne souhaite pas que cette magie soit déflorée. Et du coup la lectrice que je suis ne le souhaite pas non plus !

Simone

En attendant Bojangles


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J'ai Lu Pour VousJohann Wolfgang von Goethe : "Erlkönig - Le roi des Aulnes"

Ce poème de Goethe m'avait d'autant plus impressionnée qu'enfant, j'avais été amenée à le déclamer un certain nombre de fois, incitée en ceci par mon institutrice de l'époque. J'étais cachée derrière le tableau noir, et je devais prononcer, sur le ton qui convient : "Ich liebe dich, mich reizt deine schöne Gestalt - und bist du nicht willig, so brauch ich Gewalt". Mon institutrice entrait en transe, chaque fois - ce qui, en secret, me flattait assez.

Je susurrais donc, d'instinct, un peu comme l'aurait fait un être mythique, transparent, malfaisant, dans l'ombre des saules, sur la lande, au clair de lune. La maîtresse n'avait nul besoin d'expliquer. Les mots parlaient pour eux : "Mich reizt deine schöne Gestalt". Il s'agissait d'un désir charnel, et la menace était claire !

La publication sur le site d'une personne amie, André Lhommé, de ce célèbre poème - en allemand - précisément - m'avait fait revivre tout cela. J'avais alors cherché à traduire, et m'étais dès lors intéressée aux traductions autres que la mienne. Ce qui fut l'occasion, pour moi, de saisir, une fois de plus, à quel point les traductions de poèmes sont délicates et difficiles : le traducteur va forcément être amené à exprimer des priorités en fonction de choix intimes liés à sa personne propre - son vécu : donner priorité à ce qu'a exactement voulu dire l'auteur, mais ce qu'on veut dire ne s'exprime pas seulement avec des mots, mais avec l'arrangement des mots, le style, l'ambiance qu'on sait donner... Ainsi l'un de mes prof à la fac disait : la forme, C'EST le fond - cela nous laissait perplexes, et pourtant... comme c'est vrai ! Dans un poème, la forme compte, plus que chaque mot, pris à part... la forme, c'est aussi la musicalité, l'arrangement des rimes. Si dans une partition musicale, il y a une fausse note, cela va déranger. Et combien de traduction de poèmes m'ont précisément dérangée par leurs fausses notes ! Plus aucun respect du nombre de pied - de la rime.

Certes, et je les comprends, les traducteurs s'attachent souvent au mot à mot, sécurité dans leur esprit pour rester fidèle à l'auteur. Ainsi :

"Er fasst ihn sicher, er hält ihn warm" (ne serait-ce pas plutôt : "Er hält IHM warm !?) donne chez un certain traducteur : "Il le tient fermement, il le garde au chaud" (ce n'est pourtant pas un plat qu'on garde au chaud !!). Par un autre traducteur : "Il le tient ferme, il le réchauffe" déjà mieux... Par un autre encore : "Il le serre bien, il lui tient chaud"

Or, considérons cette strophe dans son ensemble : Goethe écrit :

"Wer reitet so spät durch Nacht und Wind ?

Es ist der Vater mit seinem Kind

Er hat den Knaben wohl in dem Arm

Er fast ihn sicher er hält ihm (?) warm"

Et comparons avec : Jacques Porchat (1861) :

"Qui chevauche si tard à travers la nuit et le vent ?

C'est le père avec son enfant

Il porte l'enfant dans ses bras

Il le tient ferme, il le réchauffe"

Et comparons aussi avec Charles Nodier :

"Quel est ce chevalier qui file si tard dans la nuit et le vent ?

C'est le père avec son enfant

Il serre le petit garçon dans son bras

Il le serre bien, il lui tient chaud"

Ce que j'en pense : déjà : perte totale de la musicalité : sauf pour les 2 premiers vers, plus de rimes, plus d'harmonie des temps...

Chez Charles Nodier : "Il serre le petit garçon dans son bras" : en français, serrer quelqu'un dans son bras est une expression inusitée... même s'il ne s'agit que d'UN bras qui serre, le sens est d'étreindre, et on n'a pas l'habitude d'étreindre "dans son bras" (sauf peut-être en judo !?).

Le mot "wohl", qui signifie : confortablement, dans un sens de douceur, est difficile à traduire en français... Nodier essaye de le traduire en écrivant "petit garçon" au lieu de "garçon". Jacques Porcha n'essaye pas de traduire le mot, et, en fait, il n'a pas vraiment besoin d'être traduit, on comprend...

Charles Nodier utilise les termes : "Quel est le chevalier qui file...", j'estime que c'est à tort. A-t-il voulu dire "cavalier" !? Dans tous les cas, la phrase me semble bien mieux traduite par J.Porchat : "Qui chevauche si tard à travers la nuit et le vent ?"

Et voici à présent MON ESSAI personnel de traduction - Je sais que certains cheveux vont se hérisser - car j'ai pris quelques libertés - toutefois j'assume : à mon sens, je respecte tout à fait l'esprit de Goethe, en-même temps (et cela est certain...) que je rétablis la musicalité rythmée du poème :

"Qui chevauche si tard dans la nuit et le vent ?

C'est le père avec son enfant

Dans une étreinte ferme pleine de douceur

Il tient l'enfant bien au chaud sur son coeur"

En cliquant sur ce lien vers Wikipédia, vous trouverez l'original et les 2 traductions dont je viens de parler.

Voici un autre lien à cliquer avec une traduction de Xavier Nègre.

Et enfin un lien vers le site Musicologie.

Mon avis : toute question de rimes, de rythme et de musicalité mises à part, ce qui ne va pas, à mon sens : "le vent murmure dans les feuilles mortes", ne traduit pas bien : "In dürren Blättern säuselt der Wind". Le verbe "säuseln" donne une idée de mouvement rapide accompagnant un bruit, et est mal traduit par "murmurer" : un vent qui "murmure", c'est un vent doux et gentillet... ce n'est pas le cas ici.

"Feiner Knabe" est mal traduit par "gentil garçon". Or je n'ai trouvé par ailleurs aucune autre traduction de "feiner Knabe". J'avoue que je n'ai pas de mot à proposer, cela m'agace, mais je SAIS que "feiner Knabe" ne trouve pas ici sa bonne expression. Il s'agit de parvenir à traduire une élégance... une élégance dans TOUS les sens du mot, une finesse de pensée... En allemand, "du bist fein" se traduirait par "tu es chic", dans le sens"fair play"... Pour mieux cerner encore, cela signifierait : "tu es chic et élégant", dans tous les sens du mot ! Alors, bon, j'admets que je ne résouds pas le problème... ne trouvant pas le terme unique qui conviendrait en français... Personnellement, j'ai choisi de traduire "feiner Knabe", dans ce contexte, plutôt par "joli garçon" que par "gentil garçon"...

D'autres choses me déplaisent : traduire "Ich liebe dich, mich reizt deine schöne Gestalt" par "Je t'aime, ton joli visage me touche", n'exprime pas du tout le désir sexuel sous-jacent de l'expression. Déjà "visage" ne correspond pas à Gestalt, il se traduit par "Gesicht". On dirait que les traducteurs (c'est assez général )... ont peur de ce que l'expression signifie vraiment - et cette signification est d'ailleurs totalement confirmée par la suite du poème : "et si tu ne veux pas, j'utiliserai la force".

Voici la traduction personnelle complète que je propose, et qui va se faire dresser etc... Mais, je le répète : je l'assume, dans l'esprit d'un compromis à mon sens le meilleur possible avec ce qu'à voulu faire sentir l'auteur... Je suis disposée à recevoir l'avis des uns - des unes - et l'inverse - traduire : des unes et des uns ! (priorité délicate en ces temps tourmentés héhé !)

Erlkönig
Ma traduction

Qui chevauche si tard dans la nuit et le vent
C'est le père avec son enfant
Dans une étreinte ferme pleine de douceur
Il tient l'enfant bien au chaud sur son coeur

Mon fils, pourquoi cacher ce visage angoissé ?
Père, ne vois-tu pas le roi des Aulnes passer ?
Le roi des Aulnes, avec traîne et couronnes ?
Mon fils, ce n'est que le brouillard d'automne

Toi cher enfant, viens, pars avec moi
Je jouerai à de bien jolis jeux avec toi
Sur la rive il y a tant de fleurs colorées
Et ma mère possède tant de robes dorées

Mon père, mon père, n'entends-tu pas
Ce que le roi des Aulnes promets tout bas ?
Calme-toi, reste serein, mon enfant
Sous les feuilles mortes souffle le vent

Veux-tu joli garçon venir avec moi
Mes filles s'apprêtent à danser pour toi
Elles mènent le bal la nuit... Tu viens !?
Leurs chants lascifs te berceront bien

Mon père, mon père, ne vois-tu pas dans l'ombre
Les filles du roi des Aulnes dans les coins sombres !?
Mon fils, mon fils, oui, je le vois bien
Ce ne sont que des saules - ce n'est rien...

Je t'aime - ta belle silhouette m'inspire
Et si tu ne veux pas, j'imposerai mon désir
Mon père, mon père, il me prend pour sa proie
La roi des Aulnes me fait mal et me broye !

Le père frissonne en pressant son cheval
Il maintient dans ses bras son enfant qui a mal
Il parvient au village après de grands efforts
Et il tient dans ses bras son enfant qui est mort

Entre autres : j'ai introduit le mot "lascif" : l'idée sous-entendue étant effectivement celle-là - j'ai introduit aussi les termes "broye" et "proie", non pas du tout pour mettre 3 points sur les i, mais pour concilier nécessité de coller à l'idée en même temps que de se soucier de rimes et de rythme. C'est en effet CELA la vrai difficulté !

Schlitter Simone dite : Sim ou Mathilda

Note : un autre lien vers Wikipédia qui m'amène à me poser la question : la traduction de "Erlkönig" en "Le roi des aulnes" est-elle bien pertinente !? "Roi des elfes" pourrait peut-être davantage se justifier...

Erlkönig

Erlkönig


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J'ai Lu Pour VousFrédéric Lenoir : "Philosopher et méditer avec les enfants" - Albin Michel

C'est un extraordinaire recueil de remarques philosophiques autour de thèmes existentiels, de la part de qui on est loin de les attendre... de la part... d'enfants ! Essentiellement entre 7 et 10 ans.

Ce livre relate l'expérience passionnante de l'auteur, qu'il a vécue avec des centaines d'enfants à travers le monde francophone, expérience au cours de laquelle les enfants sont initiés à "se ressourcer" par la méditation, et à discourir sur des sujets nombreux et variés, que l'on pourrait croire traditionnellement réservés aux adultes, ou, pour le moins, aux ados et aux classes terminales ! : "C'est quoi le bonheur ? C'est quoi, un sentiment ? La vie a-t-elle un sens ? - C'est quoi une religion ? - Vaut-il mieux être mortel ou immortel ?" - et j'en passe...

Les enfants ont été passionnés par ces ateliers - étonnant souvent le lecteur, par le degré de maturité et la profondeur de leurs réflexions. L'auteur expose de précédentes expérimentations en classes, réalisées par différentes pédagogues, lesquelles le confortèrent à entreprendre cette expérience d'atelier qu'il souhaitait réaliser depuis longtemps. Il ne s'agit nullement de "cours de philo" avec celui "qui distribue le savoir", mais bien d'ateliers, où, à partir d'une idée, ou d'un mot-clé, la discussion sera ouverte (bien sûr l'animateur aura intérêt à bien se documenter sur le sujet proposé auparavant, afin de pouvoir avec maîtrise guider la discussion, et éviter que "cela ne parte dans tous les sens"...)

Concernant la méditation, grand coup de chapeau à l'auteur qui joint à son livre un CD...

L'ambiance, dans ces ateliers : enfants très intéressés par toutes ces choses qui permettent de mieux comprendre la vie, de par la mise en œuvre de ces échanges. De nombreuses photos représentent : les doigts levés - les idées qui veulent s'exprimer - les regards qui cherchent, "en-dedans", une réponse à donner "au dehors". Convainquant - et touchant...

Pour clore, l'auteur nous propose 20 fiches, assez courtes, pour permettre de mieux cerner certaines notions (par ordre alphabétique) : l'amour - l'art - l'argent - jusqu'à "la violence", ceci avec méthode : je prends l'une des fiches de l'auteur : soit l'ART : "définition dominante" (la plus habituelle) : L'art est une activité humaine qui combine : inspiration, habileté, savoir-faire, transformation de matières... pour créer des oeuvres "différent de" (ne pas confondre avec...) Artisanat (> fonction utile) "Ce n'est pas..." (c'est le contraire de) : la nature (un arbre n'est pas de l'art - mais le tableau d'un arbre est du domaine de l'art).

Les définitions des enfants : elles m'ont souvent enchantées par leur fraicheur et leur poésie naïve. Souvent, aussi, fait sourire. Et parfois carrément étonnée ! J'en ai regroupées certaines, qui me semblaient particulièrement percutantes, juste pour donner une petite idée...

Le bonheur ça se vit et le plaisir ça se ressent - Marius 9 ans (c'est super-bien défini et en peu de mots).

Dès qu'on voit quelqu'un qui nous plaît, ça fait cui-cui dans notre cœur - Christophe 10 ans - (sans commentaires... je n'arrête pas d'en sourire).

A la différence des animaux, l'être humain, il n'est jamais satisfait : il veut toujours plus - Tess 10 ans (là, chapeau !).

Réponse à la question : "Vaut-il mieux être mortel ou immortel ?" :

Il vaut mieux mourir, parce que si on était immortel, on aurait tout vu sur terre, et on ne saurait plus quoi faire après - Antoine 11 ans (Là : hihi !!).

Toujours à propos de la question précédente : Comme on n'est pas immortel, on profite mieux des choses de la vie - Madeleine 9 ans (je trouve cela très réfléchi et profond... la vie n'a de prix que parce que nous nous savons mortels...).

Toujours à propos de l'immortalité : Moi je trouve aussi que c'est bien d'être mortel parce que sinon il y aurait toujours les dinosaures... - Jean (hm hm...).

UNE VOIX : du coup ce serait bien d'être immortel parce qu'on pourrait chevaucher des dinosaures (re - hm...).

Frédéric (l'animateur) : Oui, à condition que tu arrives à dompter les dinosaures.

Allez, j'en reste-là. Pour ne pas prendre plaisir à lire ce livre, je crois qu'il faut simplement ne pas savoir lire ! Ou avoir un cerveau et une sensibilité de dinosaure !

Riquet à la houppe


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J'ai Lu Pour VousAmélie Nothomb : "Riquet à la houppe"

Un livre par an. Le premier livre que j'eus, par hasard, l'occasion de lire était très peu épais, par rapport à tous les autres, d'auteurs divers, le plus souvent connus du grand public. Il était d'apparence extérieure assez particuliere, représentant une femme terrorisée. Le titre aussi interpellait : Stupeur et tremblements...

Ainsi qu'à mon habitude, j'adorais farfouiller dans la littérature - le virus m'avait infectée à l'âge de 13 ans. A chaque déménagement, mon père véhiculait sa littérature dans des caisses en bois, dont il déclouait le couvercle ensuite au pied de biche et à la tenaille. Je me plaçais sous la dent tout ce que j'y trouvais : depuis le système solaire entouré de ses planètes, la composition de leur atmosphère, déterminée grâce à leur spectres respectifs, en passant par des romans d'auteurs qui m'étaient forcément inconnus, mais dont je peux garantir, avec le recul, qu'il ne s'agissait en aucun cas d'auteurs de romans de gare.

Je me souviens de quelques titres : Agnès de rien - La femme pressée - le plus souvent, l'histoire se terminait mal, et toute l'intrigue suggérait forcément qu'il allait en être ainsi - qu'il DEVAIT en être ainsi.

Mais Riquet à la Houppe se termine bien ! L'on n'en est d'ailleurs pas spécialement content. Ni triste, non plus. En quelque sorte c'est un conte pour grandes personnes. Et d'ailleurs l'auteure aime l'affirmer : les contes sont très souvent écrits pour les grandes personnes.

Ce que j'ai toujours particulièrement apprécié : le don que cette auteure possède pour dépeindre la psychologie des personnages d'une façon fine, et en peu de mots. Comme si, d'un clin d'oeil, elle nous faisait saisir tous les non-dits. Personnages ici à la fois éthérés, quasi-caricaturaux, et en-même temps d'une profondeur sous-jacente remarquable. Pour mieux cerner l'idée : au physique, ils sont... vagues... laids, très laids, sans plus... aucun détail pour accrocher le regard, à part ce "corset que porte Déodat, qui fait vaguement penser au Bossu... ou alors : belle, très belle... poupée de porcelaine... ils ont le côté lisse des personnages de conte de fée. Pour le lecteur, ils sont vivants par la complexité "de leur âme" (je préfère ce terme à celui de "leur psychisme"...).

J'ai toujours aimé les histoires où le héros (l'héroine...) est "je" et non "il" ou "elle". A.N., selon ses livres, est souvent "je", et parfois "il" ou "elle". Dans ce dernier cas, l'auteure prend du recul. Je la sens volontairement détachée, elle analyse plus qu'elle ne compatit vraiment. S'est-elle vaguement inspirée de la Belle et la Bête de Jean Cocteau, qu'elle cite au passage ? Je dirais oui et non : "oui" parce que nous avons à faire ici à une très belle jeune fille, au visage de porcelaine inexpressif, qui semble destinée à être méprisée en tant que sotte silencieuse et subissante - et par ailleurs à un jeune homme très laid. Je dirais qu'ici s'arrêtent les similitudes : le jeune homme, à l'intelligence hors du commun, devient un tombeur de femmes, sans trop le faire exprès. Seul échec, mais cuisant et douloureux, avec sa kiné, qui accepte de "coucher", on pourrait dire juste par une sorte de gentillesse passive. On ne sait pas trop pourquoi, en fait. Mais là n'est pas le problème (peut-être juste, parce que, dans la vie, c'est : "chacun son tour"). Lui s'énerve d'entendre rabâcher dans son oreille les criailleries des femmes qu'il n'aime pas assez, mais voilà à présent qu'à son tour il se lamente et rabâche...".

Et puis finalement, presqu'au bout du livre, ce "Riquet à la Houppe" et la belle demoiselle se trouvent, par le fait du hasard, dans une même loge, après que des organisateurs d'une séance télévisée, un peu sadiques, se soient complus à faire mijoter les futurs acteurs, au préalable, des heures durant, dans leur jus - pour les ramollir (que vient faire dans ce décor sans âge cette institution symbole de la modernité tapageuse et vaine ?). Possiblement, A.N. a-t-elle vécu une expérience pénible à propos de ce média, et lui décerne-t-elle, en passant, un bon coup de sabot ? Car dans la tête des auteurs, le kaléidoscope de leur vie écoulée forme des tourbillons avec, comme à la loterie, des arrêts sur image aléatoires.

J'en reviens aux héros : bras dessus bras dessous, ils finissent par s'enfuir - ne se marient pas, mais c'est tout comme - enfin c'est même mieux…

Entre temps, on apprend que la belle s'est construit une carapace sur laquelle glissent les insultes, ce qui lui permet de vivre heureuse, au grand dam de celles dont les tentatives de persécution sont ainsi avortées dans l'oeuf.

Je sens cette histoire comme un conte agréable, amusant par son esprit, lequel conte, pour l'auteure, n'a d'autres buts que d'exprimer sa philosophie, bien ancrée, du monde, avec un talent qui n'est bien sûr plus à prouver - je suis restée scotchée - non point par la complexité de l'intrigue. Mais par la façon de raconter.

Lorsqu'elle décrit ce prodigue, p.ex. : "le bébé se demanda en quoi une phrase représentait un progrès" (par rapport à un simple mot), vous voyez devant vous le professeur agrégé disséquant la phrase pour la classer, ensuite, en fonction de son sens, ou de son absence de sens, ou de son non-sens... et vous sentez aussi que l'auteure vous taquine, entre les lignes, et vous avez envie de sourire en proférant : "Ah la vache !"

Mais lorsque Bébé dit : "Maman, cette robe te va bien !" alors, vous avez juste envie de poursuivre la lecture pour connaître la prochaine énormité...

En passant, l'auteure fustige "les bonnes intentions qui mènent tout droit à l'enfer" :
"L'époque moderne a secrété d'atroces pommades verbales qui, au lieu de soigner, étendent la superficie du mal et font comme une irritation permanente sur la peau de l'infortuné. A sa douleur s'ajoute un nuage de moustiques".

Qui n'a pas vécu ce genre de situation où, sous prétexte de vous consoler, on vous enfonce encore un peu plus !? Et qui n'en a pas tiré quelqu'amertume ?

Ce petit conte est le canevas sur lequel Amélie Nothomb brode, inlassable, de jolis points qui sont autant de piques méprisantes pour ceux qui ne voient que le côté superficiel des choses. Ceux qui n'apprécieront jamais ce conte dans toute l'expression de sa profondeur. Et ce faisant, elle s'amuse beaucoup.

"L'art a une tendance naturelle à privilégier l'extraordinaire".

La citation susdite est apposée par l'éditeur sur la 4ème de couverture... On rêverait d'avoir à traiter cette question aux épreuves du bac littéraire... Et cela m'a incitée, après avoir abondamment cogité sur le sens de la beauté, et donc de l'art, à faire un tour par Wikipédia où, entre appréciations et définitions très diverses, et à propos de cette citation de l'éditeur, j'ai été interpellée par ce copié-collé :

"excessivité : dans les années soixante, les éthologues remarquaient que les situations stimulantes artificielles pouvaient surpasser les situations naturelles. L'attraction qu'exerce la beauté proviendrait biologiquement de l'effet du stimulus supranormal. Découvert par Konrad Lorenz,Nikolaas Tinbergen et Irenäus Eibl-Eibesfeldt, le stimulus supranormal ou hyperstimulus est un stimulus excessif qui déclenche une réponse plus intense. Ainsi, un œuf vert de taille imposante est préféré par une oie à ses propres œufs. Pour Thierry Lodé, l'existence de ce stimulus révèle que la tendance à l'exagération est une composante fondamentale du biologique qui peut expliquer l'exubérance des traits sexuels chez les animaux, comme la queue du paon ou la pince du crabe violoniste. La sélection sexuelle s'imbriquerait dans unecoévolution antagoniste des traits spécifiques liée au conflit sexuel. La sélection sexuelle amplifierait le maintien de ces caractères outranciers en attisant le désir sexuel. La beauté physique ne serait que le résultat de l'impression exercée par la combinaison de ces caractères extravagants impliquant le développement du désir. Ainsi, la beauté, en tant que stimulus supranormal, serait d'abord un canon de la sexualité. Cette tendance à l'exagération se retrouve dans les œuvres artistiques depuis les premiers Grecs jusqu'à Picasso ou Botero."

Cette étude n'est-elle pas un brin restrictive ?

Encore que... l'on retrouve ici, tous les canons de la mode : à chaque nouveauté, le même désir de modifier, voire et parfois surtout choquer... et au départ, chaque fois, le brave peuple, interloqué, reste en retrait, silencieux. Peu à peu il s'habitue, se conforme mentalement à ce diktat, l'adopte, le fait sien, et la quasi-totalité des femmes en âge de procréer mettront des minijupes en hiver, de longues tuniques en été, se feront tatouer un dragon sur l'épaule, accrocher un piercing dans le nombril, et parallèlement une majorité d'hommes fixeront le bord du trottoir, en déambulant, avec de brefs, pudiques et nostalgiques coup d'oeil sur tous ces trésors épars, que presque tous et toutes s'accorderont dès lors à trouver "beaux", car attirants. Sexuellement du moins.

Mais restreindre notre conception "du beau" à un diktat de l'instinct sexuel est bien sûr trop restrictif. Lorsque bébé caresse le poil soyeux de minet, ou fourre sa menotte dans la toison épaisse de son berger des Pyrénées, et qu'il répète, extasié : "bô, bô", c'est juste un compliment qu'il adresse à sa bête adorée - car, au départ, souvent, pour trouver "beau", il faut d'abord aimer, et pour trouver "laid", il faut d'abord détester. Mais l'inverse est tout aussi vrai... Je puis admirer d'abord, et aimer après. Et souvent on ne pourra pas, ou très mal, définir la part d'amour et la part d'admiration que l'on éprouvera pour une chose, ou un être vivant : on admire ce qui semble extraordinaire. Par rapport à une expérience que l'on a dans ce domaine. Rien de tout cela n'est raisonné. C'est instinctif. Cela fait appel à tous nos sens. Pas seulement à la vue. Caresser le poil de son ours en peluche et penser qu'il est beau, parce que, d'abord, il est doux, c'est immédiat, et cela ne relève pas de la culture, mais dire qu'un Picasso est extraordinaire, cela a un rapport direct avec la culture, et possiblement avec une conception formatée - de même qu'un ciel bleu de carte postale déterminé joli pour les autres.

L'auteure a du "beau" une conception qui est la sienne. Elle y a longuement réfléchi, et cela se sent. Pour elle, ce n'est pas la culture qui détermine la conception du beau : "Nous naissons avec cette obsession, à telle enseigne que les petits enfants sont naturellement attirés par les belles personnes et révulsés par les laids".

Oui, c'est une obsession, et nous naissons avec. Mais : non, les petits enfants vont d'abord trouver belles les "bonnes" personnes qui vont leur manifester la quantité de tendresse utile pour réchauffer leur petit cœur tremblotant - et je me souviendrai ma vie durant qu'un certain jour, accablée par un grand malheur, il pleuvait, mon œil fixait le gazon mouillé, sous mes semelles, et jamais de ma vie je n'avais trouvé quelque chose d'aussi laid que cet innocent gazon (je ne suis pas toujours d'accord avec certaines idées, de certains auteurs, mais cela ne m'empêche nullement d'admirer ces auteurs... et de les aimer !).

Plus je relis certaines pages, plus je ressens avec acuité la profondeur des personnages, sous leur aspect vaguement schématique. Bien sûr, je me suis posé plein de questions : A.N. était-elle, dans son enfance, une fillette exclue des groupes, en raison de sa précocité, et d'un Q.I. exceptionnel !? Serait-ce pour cela qu'elle décrit ici un personnage qui souffre de cette exclusion ? L'auteur éprouve-t-elle elle même cet amour extraordinaire des oiseaux ? C'est tellement bien décrit que spontanément l'on pense à une expérience vécue par elle-même.

Riquet à la Houppe se termine bien. On n'en est pas spécialement content. Ni triste. On reste songeur...

On songe... on songe... à cette kiné, paisible, placide, et aux tourments de Riquet à ne pas s'être senti assez aimé... tourments profonds et aussi vite oubliés à s'évader des conventions, obligations et institutions, se sauvant, main dans la main, en compagnie de "la Belle". Comme dans un rêve. On y croit sans y croire. Avec l'impression de s'être enrichi, pendant la nuit, d'une multitude de valises, que l'on se complaira, à l'aube, à entrouvrir, y plongeant les mains, et le nez, à la poursuite de son rêve.

Riquet à la houppe


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J'ai Lu Pour VousMes lectures de l'été

J'ai été longtemps amoureuse de romans fantastiques et de sciences-fiction. Cette période s'étendit approximativement de 1960 à 1990. Le genre de l'époque me plaisait. J'avais d'ailleurs suivi, en pure dilettante, des cours, à la faculté de lettres, concernant "la littérature fantastique et sa différence avec la science fiction"... en passant par Poé - Hoffmann - jusqu'aux œuvres de l'époque 1966, je crois. Je prisais dans ces œuvres une part de non-dit, de mystère, que je n'y ai plus retrouvée depuis... à présent c'est trop souvent l'hémoglobine à profusion. J'étais avide de lectures en tous genres, sauf celles à l'eau de rose, trop lisses à mon goût. A 13 ans, je fouillais dans le grenier de mes parents, et y lisais : La femme pressée - Agnès de rien - Le tigre Akbar - et beaucoup d'autres dont les titres me sont sortis de l'esprit - à 17 ans, quelqu'un m'offrit Proust et je n'y compris... que dalle - par contre, à 25 ans, je le relus et le trouvai prenant - comme quoi...

J'aime aussi les biographies de personnes "en vue". Certaines écrites par leurs auteurs, seuls ou conseillés - d'autres écrites par des journalistes. Il y a en moi, ainsi, tapie, une midinette fan de stars ( je ne le crie pas trop sur les toits, c'est minorant). J'ai lu ainsi pêle-mêle : Cécile, l'épouse de Sarko - journaliste elle-même, d'ailleurs - j'ai lu Trierweiler - pas aussi méchante que certains le prônent à propos de Hollande - j'ai lu Line Renaud, et, depuis ma lecture, je l'admire. Avant, elle ne représentait pour moi "qu'une personne un peu trop lisse" - et elle en est très loin. J'ai lu aussi Renaud Séchan, tout dernièrement. En fait j'ignorais qu'il était un parolier plutôt talentueux...

Enfin, je me suis véritablement attardée, récemment, sur deux livres dont je vais vous entretenir plus spécialement :

- l'un de Stephen KING : Carnets Noirs

- l'autre de Paul JORION : Le dernier qui s'en va éteint la lumière

En attendant Bojangles

CARNETS NOIRS - de Stephen King - imprimé en 2015

Traduit de l'anglais (Etats-Unis) par Oceane Bies et Nadine Gassie

Il n'y a pas si longtemps, j'étais peu sensible au rôle prépondérant d'un bon traducteur (féminin ou masculin). C'est parce que je manquais d'une certaine maturité. Je lisais pour lire. Pas pour m'interroger sur le pourquoi du comment de l'oeuvre. Stephen King est un auteur prolixe. Wikipédia lui consacre pas mal de texte... J'ai appris qu'il était prof - ou l'avait été - et même prof d'université, je crois. Qu'il s'agissait d'un self made man. Qu'il avait eu des problèmes avec l'alcool. De cela je me doutais un peu - car de l'alcool, il en parle très souvent dans ses livres. J'ai appris quel était l'hôtel dont il s'était inspiré, lors d'un certain séjour, pour écrire SHINING. Ce qui ne m'a pas étonné, car les idées ne tombent pas du ciel, on s'inspire toujours du réel, et tous les romans sont "à clé".

En général, l'auteur parvient parfois à m'énerver, car il fait trop parler ses acteurs (parler ou penser, ce qui revient quasi au même). Mais c'est dit avec tant de naturel, cela fait "tellement vrai", qu'on le lui pardonne - souvent même volontiers - j'adore l'entendre proférer : "cette putain d'clé - cette putain d'course - cette putain d'agence - cette putain d'merde de n'importe quoi !".

Le plus souvent, quand il raconte, il parle le langage de Mr tout le monde : "Il avait pas su - il avait pas pensé" - au lieu de "il n'avait pas". Parce que ce n'est pas l'auteur qui raconte, avec le recul de l'observateur - c'est le personnage de son livre qui pense tout haut. Cela fait qu'on est plus proche du personnage - c'est ce qui fait qu'on s'y intéresse ! La tâche d'un traducteur n'est jamais facile lorsqu'il s'agit de traduire un auteur aussi typé... Quels mots choisir plutôt que tels autres pour traduire la pensée, l'intention ?

Véritablement Stephen King est un artiste. Je n'aime pas trop les horreurs qu'il raconte, parfois, mais le reste, et son art du suspense compensent totalement.

Souvent, S.K. prend pour héros un écrivain (il sait de quoi et de qui il parle, héhé!). Dans son présent livre, c'est aussi le cas. Ou, du moins - et c'est là l'innovation, il y a dans l'histoire un vrai écrivain - professionnel - assassiné - ainsi que deux écrivains amateurs et passionnés de l'oeuvre du 1er. L'un, Morris Bellami est passionné par le héros habituel campé par l'écrivain. Ce héros au final, ne correspond plus à l'image que son créateur donnait de lui, au départ. Alors, au fur et à mesure que le temps passe, Morris devient assez fou pour organiser une expédition au cours de laquelle il vole tous les manuscrits inédits de l'auteur, en même temps qu'il lui dérobe son magot. Et, du coup, il l'assassine... et cela semble être la 1ère raison de l'expédition organisée : le punir de ne plus être fidèle aux façons d'être du héros enfanté ! Morris, l'assassin, abrite les manuscrits et l'argent dans une malle qu'il planque à quelque part, dans une anfractuosité, à l'abri des regards, du moins dans des circonstances ordinaires... Puis il va en prison, mais pas du tout pour ce crime, resté non élucidé. Mais pour un viol. Condamné à de nombreuises années de prison. Un 2ème écrivain amateur, un jeune homme nommé Pete, dont les parents ont des revers de fortune, trouve tout à fait par hasard la malle, se garde d'en informer quiconque, et, après inventaire, s'empare du contenu, et se met à lire les feuillets de l'écrivain assassiné, avec une passion de plus en plus exigeante. Parallèlement, comme ses parents ont besoin d'argent, il leur envoie, périodiquement, et sous couvert d'anonymat, une somme régulière, extraite du magot planqué ailleurs, et qui dépanne tout le monde, des années durant. Jusqu'au moment où... à épuisement de la somme, Pete cherche une solution pour couvrir les nouveaux besoins de la famille... Parallèlement Morris sort de prison et trouve... sa malle vide... et alors... suspens... je m'arrête-là.

J'ai lu le livre avec plaisir et intérêt. Parfois j'ai sauté plusieurs pages, mais pas très souvent. Une œuvre à la hauteur des autres, du même auteur. Car si bien racontée... Avec une logique rigoureuse et totalement crédible. Malgré des énormités, dont celle-ci : tuer un auteur parce qu'il vous déçoit en changeant le style de son héros ! (Faut l'faire !)

En attendant Bojangles

Mon sentiment à propos du livre de Paul Jorion (éditions FAYARD)

LE DERNIER QUI S'EN VA ETEINT LA LUMIERE

Tout ce qui est dit dans ce livre l'est avec calme, réflexion et une grande pertinence. L'érudition de l'auteur m'impressionne. Il domine tous les domaines du savoir : littéraire, médical, informatique, sociologique, philosophique, économique, politique, financier...

Ce qu'il nous prédit, faute d'un virage à 180 degrés de nos décideurs, peu probable, car de plus obligatoirement rapide, c'est notre extinction à la 3ème génération. Ce qu'il explique sidère d'autant plus que c'est dit sans passion, juste avec une grande rigueur, un grand soucis d'être complet, de ne négliger aucun argument. Certes, quelqu'un, comme moi, de peu formé à ce genre d'explication, risque de se sentir débordé. Mettons que ce n'est pas la lecture de Mr Tout le Monde, et que cela ne fera pas pleurer Margot. Paul Jorion ne s'est point astreint à cet énorme bilan, résultat d'un long travail de recherche, dans le but de faire pleurer Margot, mais dans celui, évident, de faire réfléchir les décideurs. Ceux qui détiennent les richesses et donc les leviers de commandes. Peut-être finiront-ils par avoir peur pour leurs petits enfants, à défaut de s'inquiéter des 3ème ou 4ème générations d'humains, dont leurs propres descendants !? L'auteur nous explique que l'homme n'est pas conditionné pour s'inquiéter des générations futures, à part celles qui lui sont physiquement proches... petits-enfants... à la rigueur arrière-petits-enfants...

Je me suis astreinte à relire souvent trois ou quatre fois la même phrase pour bien la comprendre. Car je sentais qu'il était de la première importance que je puisse en saisir le sens. J'avais encore beaucoup à apprendre. Mais il y a aussi dans le livre des vérités qui sautent à la figure, de compréhension instantanée - que notre cerveau primitif consomme avec délectation ! Je ne suis pas à la hauteur, évidemment, pour une analyse approfondie de cette œuvre. Dans tous les cas, mon but n'a jamais été une analyse approfondie de quelque œuvre que ce soit. J'ai eu l'idée de transmettre au lecteur mon sentiment à propos d'une œuvre, et c'est bien ce que j'essaye de réaliser, ici également.

J'ai retenu en particulier les phrases suivantes : (je les formule en gras-souligné-italique)

Le titre : Le dernier qui s'en va éteint la lumière : évoque d'une certaine façon à mes yeux Christophe Hondelatte et son Accusé levez-vous. Lui n'éteignait pas la lumière à la fin de l'histoire. Il ouvrait puis refermait la porte... Comme s'il avait dit : "Cette histoire, c'était une parenthèse dans votre vie bien remplie - vous voyez : je referme la parenthèse. Pour les acteurs - les vrais - de cette histoire - ce n'était pas une parenthèse - c'était leur VIE - je sors et ferme la porte - mais elle reste ouverte sur l'imaginaire - songez-y peut-être encore un peu - pas seulement en vous rasant...".

Le dernier qui s'en va éteint la lumière ? Cette petite phrase d'apparence anodine, pragmatique, laisse transparaître un tragique sous-entendu : nous allons tous quitter la scène, les uns après les autres - l'espèce homme mourra, d'avoir dilapidé follement - et avec la plus grande légèreté - le capital mis à disposition par dame nature - et il ne restera plus au dernier (au survivant) qu'à "éteindre la lumière" - ô dérision - à la fermeture du rideau !

Ce titre m'a interpellée d'abord, et, après lecture, carrément, il m'a fait mal.

Notre espèce est-elle outillée pour empêcher sa propre extinction ? L'auteur l'a posée à ma place, cette question, qui me trottait par la tête depuis quelques années. Elle était là, latente, je ne savais comment la formuler. Je me disais : "Ça va mal. Qu'est-ce qu'on peut faire ? Qui peut le faire !?". Eh bien, c'est chose faite, la question a été clairement posée...

La réponse à cette question ne souffre malheureusement pas d'équivoque : sa constitution psychique et son histoire (de notre espèce "homme") jusqu'ici suggère qu'elle n'est pas à la hauteur de la tâche.

Consternant, mais VRAI... Elle le suggère.

Mon objectif ici n'est pas de convaincre que le genre humain est menacé d'extinction : je considère la chose comme acquise. L'auteur, pourtant n'est pas pessimiste. Il s'efforce juste de rester froid, rigoureux. Il ne voit pas plus la bouteille à moitié pleine qu'à moitié vide. Il jette juste la bouteille à la mer, à l'instar de ce que tout représentant du genre humain, très bien informé, responsable et honnête, ferait.

Quand chacun exerce sa liberté dans un monde totalement hétérogène du point de vue de la répartition et de la redistribution de la richesse - et du pouvoir accompagnant nécessairement cette richesse, les rapports de force existants sont tout simplement démultipliés, et la domination exercée par une aristocratie fondée sur l'argent est non seulement automatiquement entérinée, mais se transforme en deuxième nature dont les leviers deviennent invisibles.

Ils sont effectivement invisibles à la plupart d'entre nous. Perso je sais juste que ce n'est pas vous ni moi qui dirigeons le monde. Nous pouvons juste constater que si les leviers, dans les mains des grands détenteurs de richesse et donc de celles de la haute finance, et point dans les nôtres, ne sont pas bientôt actionnés énergiquement pour inverser la vapeur, nous laisserons aux générations futures l'enfer en héritage.

Le thème de la liberté est abordé ici aussi, mais l'auteur l'effleure juste assez pour le résumer, il ne reprend pas tous les développements des philosophes successifs. Il parle par exemple de "la liberté du renard dans le poulailler". Autrement dit la poule a la liberté de pondre ses œufs, et le renard la liberté de la consommer, elle et ses œufs... "La raison du plus fort est toujours la meilleure" est une maxime sous-entendue (ou explicite même) qui accompagne tout le récit.

Si le robot et le logiciel sont apparus initialement comme auxilliaires de l'être humain (robot effectuant certaines tâches dans une ligne d'assemblage automobile, traitement de texte, etc.), ils apparaissent désormais de plus en plus comme remplaçant purement et simplement l'homme (ligne d'assemblage entièrement automatisée, les êtres humains n'assurant plus que la rédaction du logiciel et la maintenance/supervision, "algos pour "algorythme")...

Et l'auteur de conclure un peu plus loin : la machine s'impose à nous, à la fois comme modèle et comme concurrent qui non seulement nous prive d'emploi, mais également nous contraint de nous concevoir sur son modèle.

L'auteur nous apprend avoir, dans l'un de ses ouvrages, proposé une taxe sur la productivité des machines (à l'instar d'une suggestion déjà proposée au 19ème siècle par un économiste-philosophe suisse, Jean-Charles Léonard de Sismondi) afin que le travailleur remplacé par la machine puisse bénéficier de cette mécanisation globale, au lieu d'en être la victime.

Il en est la victime, car : le détenteur de la richesse (du capital) possède les leviers pour le court-circuiter.

Non seulement l'homme est victime de la machine car privé d'emploi, mais de plus il est contraint de se concevoir sur son modèle par une tendance de la loi... amorcée dès... 1881 : (Opinion du juge Américain O.W.Holmes : "la seule conséquence d'un engagement juridique est d'obliger le promettant à payer des dommages et intérêts en cas de non-réalisation de sa promesse"). Est ainsi gommée la notion de "dignité". L'auteur analyse comment ce glissement s'est opéré des valeurs qualitatives (morales) en valeurs quantitatives (économiques).

A propos des générations futures, l'auteur nous dit : "nous faisons en sorte qu'elles se sacrifient pour nous, de manière anticipée, sans leur demander leur avis".

Bure... un exemple entre des milliers d'autres...

Et pourquoi tout ce gâchis !? Dans quel but !? Parce que, nous dit-il (mais nous l'apprend-il réellement !?... ne le savons-nous pas déjà !?) la morale des dirigeants est une morale commerciale - c'est elle qui dirige le monde actuellement - le mot "cynique" est prononcé. L'auteur condamne - gravement. Actuellement, nous dit-il, l'obligation de croissance, inhérente au système capitaliste, est une réalité. Mais la croissance ne sert pas à enrichir une nation, (ainsi qu'on pourrait le penser, logiquement) mais juste à gonfler les dividendes des actionnaires ET à rembourser les intérêts des emprunts. Il compare les dettes actuelles des ménages à celles des serfs moyennageux. Et là, on est convaincus : oui, c'est très comparable : de génération en génération, obligé de rembourser des dettes au seigneur. Juste que maintenant c'est "une main invisible" qui représente le seigneur, et précédemment il était représenté en chair et en os aux yeux de tous !

La finance est réglée sur des principes qu'on ne peut qu'enfreindre : et là l'auteur nous initie à quelques principes et fonctionnement qui ne sont pas vraiment du domaine habituel de pensée de Mr et Mme Tout le Monde (ce domaine de pensée se restreint actuellement - et c'est moi - là - qui le prétends... bien davantage à la pratique du jeu POKEMON - lequel accapare - par médias interposés - et forcément téléguidé de quelque part - l'attention du brave peuple - lequel - ce faisant - n'aura point l'idée ni le désir d'analyser en-même temps la stratégie gagnante de la finance !).

Selon la "science" économique, en effet, un marché ne peut fonctionner de manière optimale que si ces deux principes sont respectés : la concurrence pure et parfaite conduit vers un équilibre et fait tendre le profit vers zéro, tandis que la transparence permet une symétrie de l'information qui assure l'objectivité des prix.

La difficulté, ici, et je ne surprendrai pas ma lectrice ou mon lecteur, c'est qu'aucun vendeur sain d'esprit n'a jamais eu intérêt à ce que le profit tende vers zéro : suit une mise en évidence des ruses pour contourner le système et de l'indulgence du régulateur... Quelqu'un s'est-il déjà posé la question, parmi le "bon peuple", de ce que c'est : un cartel !? Moi pas... mais à présent que je le sais, je reste songeuse. Si j'ai bien compris : c'est le groupement officiel d'une certaine élite où il y a un accord (vraiment respecté !) pour que la concurrence ne joue pas.

En conclusion d'un certain développement concernant les lois de la concurrence et de la transparence (sur le papier), avec des exemples à l'appui pour montrer comment elles sont contournées, l'auteur conclut (un brin sardonique - mais il y a de quoi...) : "Nul n'a dit, après tout, que l'entr'aide et la solidarité étaient nécessairement éthiques..."

Et ainsi différentes étapes des stratégies de la haute finance, avec leur corrolaire, sont mises en lumière, depuis l'époque de Mme Thatcher et Ronald Reagan, à partir de 1970... jusqu'à nos jours.

Pour conclure : ce qui apparaissait soudainement en pleine lumière avec l'affaire Cahuzac, c'est que les havres fiscaux ne constituent aujourd'hui nullement un élément périphérique et anecdotique du système financier international, mais bien plutôt son cœur véritable : la quasi-totalité des grandes firmes internationales s'y sont domiciliées dans leur stratégie d'évasion fiscale.

Quelques 28000 pages dérobées aux archives de la société d'audit PricewaterhouseCoopers plus loin, et à propos du grand-duché de Luxembourg, Paul Jorion conclut, en face de l'expression d'un émoi actuel insolite : c'est qu'il existe une différence essentielle entre un secret de polichinelle pour les gens du métier et pour Monsieur et Madame Tout-le-monde.

Mais l'auteur ne se borne pas à l'analyse du fonctionnement de la finance et à pointer du doigt son côté immoral et sa philosophie à contre-courant de l'épanouissement de la vie, donc sa philosophie létale, pourrait-on dire. Le dernier tiers du livre est consacré par l'auteur à essayer de répondre à une question qu'il se pose, que je cite au début de ma présentation et que je reprends ici : notre espèce est-elle outillée pour empêcher sa propre extinction ?

Et là, je comprends brusquement - patience - mon cortex a besoin d'un certain temps pour fonctionner d'une façon optimale - je comprends que l'auteur situe son étude sur deux niveau :

- le niveau 1 : la loi du plus fort - la richesse concentrée dans les mains de quelques uns - qui attire la richesse - donc cycle vicieux - l'esprit de lucre - la philosophie basée essentiellement sur le profit immédiat, donc le commerce, donc "la croissance" qui anime nos décideurs - le calcul à court terme

- le niveau 2 : étude psychologique de l'homme, et comportement des sociétés.

J'ai éprouvé, à chaque page, un certain plaisir à déchiffrer ses raisonnements, ou à les constater d'une évidence immédiate. Une certaine stupéfaction (je le répète) en constatant l'érudition immense du bonhomme. De la joie à me dire que j'étais en train d'apprendre des choses importantes. Une certaine fierté à me dire que je n'étais pas la seule à penser "qu'on allait droit dans l'mur", mais que d'autres - et pas des moindres - pensaient exactement la même chose, mais, eux, en avançant, à l'appui, des preuves développées, multiples et solides.

Après lecture et nombreuses relectures de certains passages du livre, il m'est venu une idée que je n'avais jamais eu encore (preuve que, pendant tout ce temps, j'ai mûri... malgré mon grand âge - c'était encore possible...) : l'auteur nous parle "des sociétés" ou de "la société", souvent. Or, une société élabore des lois, afin d'y permettre l'existence optimale des individus qui la composent. Or des lois uniquement faites de valeurs commerciales et non morales ne peuvent pas permettre cela. La mondialisation, c'est la tendance de créer une grande société mondiale, fonctionnant uniquement selon des lois qui semblent fondées sur des valeurs simplement commerciales. C'est alors normal que les gens s'y transforment en machine. Et que le genre humain disparaisse...

Normal et totalement effrayant !

Simone Schlitter - Présidente Fondatrice de Cancer-Espoir


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J'ai Lu Pour VousLewis Carroll : "Alice au Pays des Merveilles"

En attendant Bojangles

LE RESSENTI DE SIMONE

Une extrême curiosité par rapport à cette œuvre qui m'impressionna beaucoup, enfant, qui m'inspira, au fur et à mesure de mon parcours de vie, m'incitant parfois, dans les histoires qu'il me plaisait d'écrire, à m'emparer de ce nom quasi-magique "d'Alice"... à l'instar de beaucoup d'auteurs qui ne m'ont certes pas attendue pour ce faire.

A l'aise dans ce personnage volontaire, décidé, qui pourtant se voit distribuer plein de pieds-de-nez par un environnement délibérément farceur, j'ai eu tendance de m'inspirer de cette Alice pour écrire toutes sortes d'histoires - dont précisément et entre autres aussi le scénario d'Alice au pays de la Cigabouff - que notre petite troupe des Barbies-Turique-et-Rac se plaît à présenter actuellement.

J'ai surtout été imprégnée de ce personnage double, à la fois enfant, empli de naïveté et d'ouverture vers le monde - et à la fois grande personne, très raisonneuse. Cela transparaissait même dans les livres pour enfants, les seuls qui, dans ma jeunesse, m'étaient accessibles. Je ne ressentais point Alice comme j'aurais ressenti Blanche-Neige ou Cendrillon. Sans pouvoir l'exprimer, elle était autre. Unique. Avec de l'étoffe, une personnalité. Et l'histoire aussi était autre que celle des contes traditionnels. Je crois que c'est pour ça que je m'entichai précisément de ce conte.

Je sentais aussi au travers de ce récit une sorte de taquinerie de l'auteur, un humour absolument ravageur et sous-jacent. Comme un message qu'il aurait transmis à la société anglaise de l'époque, en général, mais avant tout à sa très jeune amie Alice, dont je soupçonne qu'il était amoureux en secret.

Très vite les personnages me sont apparus point anodins du tout. Derrière leur flegme ou leurs gesticulations, leurs manies, c'est tout un beau monde, celui d'une certaine société, et de personnes précises, qui apparaissaient, en contre-jour.

En particulier le lapin, toujours pressé et courant, son monocle sur le nez, à mes yeux, représente le personnage haut-placé, certes débonnaire, mais snob, ambigu, un brin froussard, qui fait dinguer son monde, dans tous les sens du terme, qui brouille les pistes, et qui ne peut pas vivre sans consulter sa montre parce que chez lui c'est une seconde nature non seulement d'être affairé, mais surtout de le paraître. Qui n'a pas vécu la désagréable sensation de se sentir vaguement coupable en face de ce genre de simagrés !? J'ai senti le lapin blanc comme le personnage symbolique qui égare Alice dans un labyrinthe, le chef d'orchestre dont les coups de baguettes (de pattes ?) rythment les métamorphoses successives d'Alice qui les subit.

Pas étonnant que l'histoire ait, depuis longtemps, inspiré - et intrigué - de nombreux auteurs, dessinateurs et réalisateurs de films. Et que par effet rebond, elle nous revienne en écho, agrémentée du feu d'artifice produit par l'explosion de toutes ces énergies et talents déployés aux fins d'accompagner celui, reconnu, de l'auteur, à l'origine de l'histoire.

Quelqu'un me demanda : "Comment trouves-tu ce livre, Simone !?" Il s'agit de l'édition traduite par Laurent Bury, professeur de littérature anglaise à l'université Lyon 2 - Louis Lumière - EDITION LIVRE DE POCHE.

Je restai sans voix... je trouvai juste à dire : "beuh...heuh" , et il me fut répondu : "ah oui, c'est aussi ce que je pense !"

Sur ce, furieuse de ne pouvoir exprimer mon ressenti complexe, en quelques mots, je m'attelai à quelques recherches sur la toile... En fait, oui, pourquoi donc ce livre ne m'emballait-il pas !? Il se situait loin de mes rêves d'enfants, et les illustrations, très fouillées, mais en noir et blanc, ne me faisaient pas fantasmer, elles non plus !

Dire que ce livre ne m'avait pas intéressée serait mentir totalement : il m'intéressa fort, mais ne me charma point. Et c'est en ceci que je fus déçue... car je m'attendais à tomber sous le charme.

Grâce au traducteur, fort consciencieux, érudit et talentueux, j'en appris beaucoup sur le parcours de vie de ce Lewis Carroll, pseudonyme qu'il s'était choisi pour remplacer son nom d'origine : Charles Dodgson. Titulaire d'une chaire de mathématiques, très érudit, dix frères et sœurs, timide, passionné de photographie à l'époque où elle en était à ses débuts, il écrivit Alice au Pays des merveilles, intitulée (en cours de création) : Alice's Adventures under Ground = Les aventures d'Alice sous la terre. Cela suite au début d'une histoire qu'il avait oralement contée à Alice, fillette, sur sa demande, lors d'une célèbre promenade. Cette mystérieuse Alice était à l'époque encore une enfant, fille du doyen de Christ Church College où Lewis Carroll venait d'obtenir une chaire de mathématiques. (J'aime davantage prononcer le pseudonyme que le nom réel, car c'est sous cette appellation que j'ai subi le charme...)

Le manuscrit d'origine s'étoffa, et fut beaucoup mis en valeur, auprès du public, par un dessinateur célèbre de l'époque, John Tenniel.

Et là, comment ai-je donc pu dire précédemment que les illustrations "ne m'avaient pas fait fantasmer" !? Elles sont, en fait admirables. MAIS MAIS : nous sommes à présent des gros gâtés. Pour fantasmer, il nous faut du beau papier Canson, ou bristol, agrémenté de toute la palette des nuances du code couleur informatique. Et si, de plus, ces illustrations se présentent à nos yeux dans un format de livre de poche, à la texture de papier molle, coincées en-haut, ou en-bas, à droite, ou à gauche, dans un tracé noir qui paraît gris, sur un fond blanc délavé qui vire au jaunâtre, notre perception formatée pour l'actuel nous fait faire la moue - ce n'est ni plus ni moins qu'une question de modernité... on pourrait dire "de look". A contempler ce genre d'illustrations aujourd'hui désuètes, pourtant, je rêvais, crayon de papier en main, quand j'étais fillette, des heures durant.

Mais "la modernité" va plus loin : la plupart des habitants de l'hexagone - dont moi - savons peu de chose de l'Angleterre à l'époque victorienne, de ses mœurs et coutumes. Et de même que la plupart d'entre nous n'apprécierions plus du tout une histoire écrite en vers au lieu d'en prose, nous nous trouvons-là, perplexes, en face des très nombreux vers, ressentis par nous comme coupant le rythme - et - j'ose à peine le dire tant j'ai honte : comme un cheveu sur la soupe. Question de culture... "la forme, c'est aussi le fond", disait l'une de mes prof de fac. Tous les jours, je le réalise un peu mieux : si la forme n'y est pas, l'on ne saisit plus le fond de la pensée...

"Je t'aime, moi non plus" : la forme n'y est pas - et les rouages du carrosse grincent beaucoup dans les virages... ce n'est pas de l'amour, et ce n'est pas de l'absence d'amour : cette forme, volontairement biscornue et de travers, montre aussi "un amour de travers" !

A propos des difficultés d'une traduction, ce simple exemple : je ne parle pas anglais - mais je parle l'allemand, couramment. L'autre jour, pendant notre pièce de théâtre, présentée à des personnes âgées - quelqu'un dans l'assistance, en face de notre Mr Saucisse tout replet, frétillant et redondant, eut ce cri du cœur en allemand : "Mein lieber Jung !", littéralement : "Mon cher jeune !", ce qui n'aurait dans ce contexte aucun sens. Que voulait dire la dame!? Quelque chose comme : "Ben mon coco" ! Mais là, c'est encore facile de traduire... c'est loin d'être toujours le cas... J'ai eu l'occasion de lire une traduction du Erlkönig (le roi des Aulnes) de Goethe, en français (j'espère pas la meilleure, car elle m'a semblé détestable!) . En particulier :

Ich liebe dich,

Mich reizt deine schöne Gestalt

Und bist du nicht willig

So brauch ich Gewalt

Doit pouvoir trouver son équivalent de la violence de ce désir dans l'expression de sonorités gutturales typiques telles qu'ici en allemand STALT - WALT - en français, ces sonorités précises ne s'expriment pas - le français n'a pas d'équivalent pour ST ou SCH... Que va trouver le traducteur pour ces rimes précises ? Pas facilement soluble.

En français cela pourrait donner :

Je t'aime

Ta belle silhouette enflamme mon désir

Et si tu n'es pas consentante

J'userai de violence

C'est à peu près ça... sauf qu'il n'y a pas de rimes - donc pas de musicalité - héhé

J'en reviens à Lewis Carroll : dans l'édition dont je vous entretiens - visiblement traduite pour s'adresser à un public de personnes déjà plus ou moins averties, le traducteur nous apprend qu'une foultitude de "bizarreries" ne sont que des parodies de chansons ou d'écrits existant de l'époque. A moins d'être anglophone, on peut difficilement en apprécier l'humour. Heureusement, les nombreuses notes du traducteur nous permettent mieux d'en apprécier le sel - mais, comme pour tout - dès l'instant où une chose vous est "explicitée" elle perd de son naturel et de sa saveur.

Le lecteur non averti peut a priori se demander si toutes ces bizarreries ne sont pas issues d'une imagination délirante, hors du commun, mais surtout aux idées incohérentes. Or le lecteur attentif et sensible perçoit immédiatement la construction intentionnelle dans ces apparentes bizarreries. La clé, souvent, nous en échappe - mais l'on sait que la serrure n'est pas loin. Ainsi, moult apparentes étrangetés ont pour origine une réalité de l'époque. Entre autre, et p.exemple : je viens d'apprendre que "le chapelier fou" n'est pas fou uniquement pour le plaisir de l'incongruité, mais qu'effectivement, en ce temps-là, les chapeliers souffraient parfois de problèmes de démence, celle-ci liée à des inhalations de mercure, lequel servait dans la manipulation des feutres pour chapeau. Comme quoi...

La reine "qui décapitait à tour de bras"... Hmm... commentaires superflus...

Je fus incitée à méditer sur la difficulté, pour un traducteur, de traduire fidèlement la façon de dire de l'auteur... Véritable cas de conscience : sa mission sera-t-elle, dans le cas d'Alice, de traduire surtout pour les enfants, et dans ce cas de simplifier à l'extrême, quitte à affadir - sera-t-elle plutôt de coller le plus près possible à la pensée ET à la personnalité de l'auteur ? - mais dans ce cas comment faire, car la pensée et la personnalité du créateur sont étroitement liées aussi aux façons de procéder de l'époque - en particulier rien ne me semble plus difficile à traduire qu'un poème, en vers et en rimes, d'une langue dans une autre... j'aurais tendance à dire que c'est impossible. Reproduire le vrai rythme, les sonorités volontairement choisies gutturales ou douces, coulées, heurtées, exhalées, sussurées, trouver les rimes assorties reproduisant exactement la mise en situation - je prétends : quasi-impossible !

Sans parler des jeux de mots - cela me semble une sacrée gageure, de les traduire avec pertinence !

On peut donc se demander si ici "le mieux-ennemi-du-bien" ne s'illustre pas dans toute sa plénitude...

C'est un vrai défi, et c'est peut-être là qu'il faut trouver l'explication de l'accumulation persévérante des traductions de cette œuvre : un défi à relever, pour un traducteur amoureux de son métier , se piquant au jeu ! (Voyez mon copié-collé final...)

Afin que l'arbre ne cache pas la forêt, j'ajoute : le dépit de ne pas avoir revécu mes sensations d'enfant, de ne pas avoir été transportée, comme on peut l'être, plongée dans certains climats envoûtants de films, aux moyens extraordinaires permis par l'avancée de nos techniques (indépendamment du talent obligé de leur créateur...), ne doit pas me faire oublier qu'il s'agit ici d'une histoire totalement originale, précurseuse, qui excelle à présenter des situations absurdes à la façon pince-sans-rire, et avec l'air de ne pas y toucher... je pense que l'auteur se délecte d'une certaine taquinerie qu'il inflige à son auditoire : Alice d'abord - et le lecteur ensuite...

Lewis Carroll fit suivre quelque temps plus tard cette œuvre par un autre conte : La traversée du miroir. Présentée également dans ce même livre. Plein d'idées remarquables. L'humour, sous-jacent prédomine. On aurait tendance à dire "Inventaire à la Prévert"... seulement voilà : Lewis Caroll l'avait écrit avant Prévert, s'il est permis de dire!...

L'histoire en elle-même !? Quelqu'un aurait-il l'idée de résumer les poêmes-histoires de Prévert !? C'est là tout le problème... cela ne se résume pas vraiment, parce que le fond est dans la forme...

Mettons que, pour jouer le jeu, il faille résumer (ce que je déteste absolument!) : Alice, fillette volontaire, fait un rêve : elle y poursuit un lapin blanc, et, lors de ce parcours contrariant et semé d'embûches, elle va, en fonction des aliments qu'elle absorbe, gourmande, changer de taille, devenir naine, ou se cogner la tête au plafond, s'empêtrer dans les objets, ceux-ci la narguant à plaisir - en même temps que sur son trajet, elle va rencontrer de bien étranges personnages, pontifiants, aux intentions insaisissables, dans des situations contradictoires et absurdes.

Simone

En cliquant ici, vous trouverez un lien vers une analyse qui me paraît très édifiante, à propos des traductions de cette œuvre, analyse réalisée par : JOANNA THIBAUT-CALAIS - LP Librairie 2012-2013


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J'ai Lu Pour VousOlivier Bourdeaut : "En attendant Bojangles"

(J'ai écrit à l'auteur. Mes sentiments s'expriment dans cette lettre...)

Bonjour Mr Bourdeaut

Depuis que j'ai lu votre livre (hier), j'ai eu l'idée de rechercher sur internet chanson et paroles (en français) de Mister Bojangles, pour essayer de me représenter vos deux héros en train d'évoluer sur la piste de danse.

J'ai adoré votre livre. Pour son ambiance. La description de cette frénésie rythmée... La fascination qu'exercent vos 2 personnages... Trois, quasiment, avec Mr Ordure ! Quatre, avec Mademoiselle Superfétatoire. Cinq, avec vous, le fils. Votre histoire a quelque chose de raffinée, d'insolite, de sensuel, racontée sur un ton d'humour léger, volontairement léger, avec en arrière-plan une note discrète, qui revient, isolée, comme un leitmotif. Un peu comme si vous disiez : "Bonjour tristesse".

J'ai aimé.

Je me suis demandé à quel niveau vous aviez souffert, en écrivant ce livre, et surtout avant de l'écrire ! Cette femme était-elle réellement votre mère ? Votre épouse ? Votre maîtresse ? Une amie beaucoup aimée ? De près - de loin ?

Cette vie farfelue, l'avez-vous vraiment vécue dans son essence ? Je me dis que oui, car il y a des détails qu'on ne peut pas inventer et qu'on n'aurait d'ailleurs pas de plaisir à inventer.

Votre oiseau ? J'y crois totalement. Et à "l'Ordure", j'y crois aussi. Il n'était peut-être pas sénateur... mais c'était "quelqu'un de la haute". Ordure, vraiment ? A mon avis, au moins un peu... Mais à part ça, d'une fidélité et d'une serviabilité rare.

Cette vie de famille de bohème, au doux parfum d'alcool, mélangeant le jour et la nuit, avec ses repères insolites, j'ai peine à croire qu'un enfant ait pu la vivre, et en parler avec cette exaltation attendrie. Car d'évidence (là, je rompt je charme) : elle était tout de même fort malsaine. Pourtant l'évidence est là : vous n'avez pas pu la vivre totalement de loin, pour la décrire aussi bien !

Je me pose une question que seule une femme peut poser, très pragmatique : qui faisait la vaisselle et le ménage !? Mademoiselle, certes, pouvait nettoyer les assiettes... A aucun moment, vous n'introduisez dans l'histoire quelqu'un "Qui essuye les verres - au fond du café"... Comment vous décrire mon interrogation : était-ce le bazar perpétuel, ou disposiez-vous d'une fée invisible ? Moi, je pense que oui : vous disposiez d'une fée invisible. C'était la fée "poésie".

Je viens de lire qu'il s'agit de votre premier livre. J'en ai publié 2 (à frais d'auteurs). Ils parlent beaucoup de maladie. Souvent sur un ton léger (j'en ai plein d'autres, aux ¾ terminés, cachés dans mes armoires...).

Voilà : cela m'a fait plaisir de vous dire que j'ai lu ce livre avec une certaine délectation, et d'un trait…

Simone

En attendant Bojangles


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